Master 2 "Droit de la Montagne" - UGA USMB

Concessions de remontées mécaniques/ Biens apportés par l’exploitant/ Qualification de biens de retour

Conseil d’État N° 402251 ECLI:FR:CESEC:2018:402251.20180629 Publié au recueil Lebon Section M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur M. Olivier Henrard, rapporteur public SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO ; SCP JEAN-PHILIPPE CASTON, avocats   lecture du vendredi 29 juin 2018 REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS   Texte intégral Vu la procédure suivante : Le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a demandé au tribunal administratif de Marseille d’annuler, d’une part, les délibérations des 30 octobre 2013 et 28 juillet 2014 par lesquelles la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye a approuvé le protocole d’accord portant sur la reprise de la station de ski  » Sauze – Super Sauze  » et, d’autre part, la délibération du 9 novembre 2013 par laquelle la commune d’Enchastrayes a approuvé la contribution financière qu’elle s’est engagée à verser dans le cadre du protocole relatif à la reprise de cette station de ski. Par deux jugements rendus respectivement sous les n°s 1403085, 1407888 et 1403073 le 18 août 2015, le tribunal administratif de Marseille a rejeté chacune des demandes du préfet. Par un arrêt n°s 15MA04083, 15MA04084 du 9 juin 2016, la cour administrative d’appel de Marseille a, sur appel du préfet, annulé l’article 2 du premier jugement ainsi que la délibération du conseil communautaire de la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye du 30 octobre 2013 puis a rejeté le surplus des conclusions des parties. Par un pourvoi, enregistré le 8 août 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le ministre de l’intérieur demande au Conseil d’Etat : 1°) d’annuler l’article 3 de cet arrêt en tant qu’il rejette les conclusions du préfet des Alpes-de-Haute-Provence tendant à l’annulation des délibérations des 9 novembre 2013 et 28 juillet 2014 ; 2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit aux conclusions d’appel du préfet des Alpes-de-Haute-Provence.   Vu les autres pièces du dossier ; Vu : – le code général des collectivités territoriales ; – le code du tourisme ; – la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 ; – le code de justice administrative ;   Après avoir entendu en séance publique : – le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, maître des requêtes, – les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public ; La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye et à la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de la société C…Frères, de M. A…C…, de l’indivision B…C…et de la société d’exploitation des remontées mécaniques du Sauze ;   Sur le cadre du litige : 1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la station de ski  » Sauze – Super Sauze « , située sur le territoire de la commune d’Enchastrayes, a été créée, aménagée puis exploitée, à partir des années 1930, par différentes personnes privées sur des terrains leur appartenant ou dont elles avaient la jouissance ; que postérieurement à l’intervention de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne désormais codifiée dans le code du tourisme, qui a qualifié de service public le service des remontées mécaniques et a confié aux communes ou à leurs groupements l’organisation et l’exécution de ce service, tout en laissant une période de quatorze ans pour mettre en conformité avec la loi les conventions antérieurement conclues ou les autorisations d’exploiter antérieurement accordées pour l’exécution du service des remontées, a été conclue le 28 décembre 1998, entre la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye (CCVU) et la SARL C…Frères, une convention de délégation de service public pour l’aménagement du domaine skiable et l’exploitation des remontées mécaniques du Sauze – Super Sauze – La Rente sur la commune d’Enchastrayes, d’une durée de quatorze ans ; qu’à l’expiration de cette convention, et après avoir déclaré infructueuse la procédure de mise en concurrence lancée en vue de la conclusion d’une nouvelle délégation de service public, la CCVU a, par une délibération du 13 juin 2013, décidé la reprise en régie de l’exploitation ; que s’agissant des biens affectés à l’exploitation du service public, leur remise à la CCVU a été ordonnée à la SARL C…Frères par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille en date du 29 juillet 2013 ; que les parties, ainsi que la commune d’Enchastrayes et des tiers ayant disposé de droits sur les biens en cause, ont recherché un accord amiable afin d’arrêter l’inventaire et l’évaluation de ces biens ; qu’un protocole a été approuvé par une délibération du conseil communautaire de la CCVU en date du 28 juillet 2014, prévoyant notamment le rachat des biens en cause par la CCVU pour un montant total de 3 700 000 euros hors taxes, dont 1 200 000 euros hors taxes à verser en une seule fois par la commune d’Enchastrayes dont le conseil municipal avait approuvé le principe d’une telle contribution financière par une délibération du 9 novembre 2013 ; 2. Considérant qu’estimant que ces délibérations étaient illégales, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence les a déférées devant le tribunal administratif de Marseille, qui a rejeté ses requêtes par deux jugements du 18 août 2015 ; que par un arrêt du 9 juin 2016, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé une délibération du 30 octobre 2013 du conseil communautaire de la CCVU et rejeté le surplus des conclusions des parties ; que le ministre de l’intérieur se pourvoit contre cet arrêt en tant qu’il rejette les conclusions du préfet tendant à l’annulation des délibérations du conseil municipal d’Enchastrayes du 9 novembre 2013 et de la CCVU du 28 juillet 2014 ; Sur les règles applicables aux biens de la concession : 3. Considérant, en premier lieu, que, dans le cadre d’une concession de service public mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l’ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique ; que le contrat peut attribuer au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des ouvrages qui, bien que nécessaires au fonctionnement du service public, ne sont pas établis sur la propriété d’une personne publique, ou des droits réels sur ces biens, sous réserve de comporter les garanties propres à assurer la continuité du service public, notamment la faculté pour la personne publique de s’opposer à la cession, en cours de concession, de ces ouvrages ou des droits détenus par la personne privée ; 4. Considérant, en deuxième lieu, qu’à l’expiration de la convention, les biens qui sont entrés, en application de ces principes, dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l’exécution du contrat font nécessairement retour à celle-ci gratuitement, sous réserve des clauses contractuelles permettant à la personne publique, dans les conditions qu’elles déterminent, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public ; que le contrat qui accorde au concessionnaire, pour la durée de la convention, la propriété des biens nécessaires au service public autres que les ouvrages établis sur la propriété d’une personne publique, ou certains droits réels sur ces biens, ne peut, sous les mêmes réserves, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique en fin de concession ; 5. Considérant, en troisième lieu, que lorsque la convention arrive à son terme normal ou que la personne publique la résilie avant ce terme, le concessionnaire est fondé à demander l’indemnisation du préjudice qu’il subit à raison du retour des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, en application des principes énoncés ci-dessus, lorsqu’ils n’ont pu être totalement amortis, soit en raison d’une durée du contrat inférieure à la durée de l’amortissement de ces biens, soit en raison d’une résiliation à une date antérieure à leur complet amortissement ; que lorsque l’amortissement de ces biens a été calculé sur la base d’une durée d’utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan ; que, dans le cas où leur durée d’utilisation était supérieure à la durée du contrat, l’indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l’amortissement de ces biens sur la durée du contrat ; que si, en présence d’une convention conclue entre une personne publique et une personne privée, il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l’indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus ; 6. Considérant que les règles énoncées ci-dessus, auxquelles la loi du 9 janvier 1985 n’a pas entendu déroger, trouvent également à s’appliquer lorsque le cocontractant de l’administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu’il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci ; qu’une telle mise à disposition emporte le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique, dans les conditions énoncées au point 3 ; qu’elle a également pour effet, quels que soient les termes du contrat sur ce point, le retour gratuit de ces biens à la personne publique à l’expiration de la convention, dans les conditions énoncées au point 4 ; que les parties peuvent prendre en compte cet apport dans la définition de l’équilibre économique du contrat, à condition que, eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée pendant laquelle les biens apportés peuvent être encore utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés, il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique ; 7. Considérant que, dans l’hypothèse où la commune intention des parties a été de prendre en compte l’apport à la concession des biens qui appartenaient au concessionnaire avant la signature du contrat par une indemnité, le versement d’une telle indemnité n’est possible que si l’équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant une telle prise en compte par les résultats de l’exploitation ; qu’en outre, le montant de l’indemnité doit, en tout état de cause, être fixé dans le respect des conditions énoncées ci-dessus afin qu’il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique ; Sur l’arrêt en tant qu’il se prononce sur la qualification des biens en cause et sur les conséquences indemnitaires : 8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que la propriété des biens en cause, alors même qu’ils étaient nécessaires au fonctionnement du service public concédé, n’avait pas été transférée à la communauté de communes dès la conclusion de la convention du seul fait de leur affectation à la concession de service public et que ces biens n’étaient pas régis par les règles applicables aux biens de retour, pour en déduire que le concessionnaire avait droit, du fait de leur retour dans le patrimoine de la CCVU, à une indemnité égale à leur valeur vénale ; 9. Considérant par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, que l’arrêt attaqué doit être annulé en tant qu’il rejette les conclusions du préfet tendant à l’annulation des délibérations du 9 novembre 2003 de la commune d’Enchastrayes et du 28 juillet 2014 de la CCVU ; 10. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;   D E C I D E : ————– Article 1er : L’article 3 de l’arrêt du 9 juin 2016 de la cour administrative d’appel de Marseille est annulé en tant qu’il statue sur les conclusions tendant à l’annulation des délibérations du 9 novembre 2003 de la commune d’Enchastrayes et du 28 juillet 2014 de la CCVU. Article 2 : L’affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d’appel de Marseille. Article 3 : Les conclusions de la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye, de la société C…Frères, de M. C…, de l’indivision B…C…et de la société d’exploitation des remontées mécaniques du Sauze, présentées au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées. Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, à la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye et à la société C…Frères, première dénommée, pour tous ses cosignataires. Copie en sera adressée à la commune d’Enchastrayes et au ministre de l’économie et des finances.

En savoir plus