Qui veut la peau du service public du secours en montagne ?

14/12/2016

Le secours en montagne gratuit est une longue tradition de solidarité qui remonte au début de l'histoire de l'alpinisme. En France, il s'est organisé sous la forme actuelle suite à la fameuse affaire Vincendon et Henri (lire à ce sujet de nombreux ouvrages, dont le petit opuscule d'Antoine Chandellier : « L'épopée du secours en montagne ». En 2002, le désormais fameux article 54 de la loi sur la démocratie de proximité ouvrait une première brèche dans ce principe de gratuité en instaurant la possibilité pour les communes de facturer les secours en montagne. Une opposition quasi unanime s'était immédiatement levée pour demander l'abrogation de cet article, conduisant le ministre de l'Intérieur à garantir que la gratuité des secours en montagne ne serait pas remis en cause. Reste que cette disposition est depuis appliquée dans un certain nombre de domaines skiables, en particulier en Tarentaise, où ce sont des hélicoptères privés qui viendront vous chercher en cas d'accident sur les pistes. A l'occasion du récent passage devant le Sénat du projet de loi de Modernisation, développement et protection des territoires de montagne (le fameux « Acte II » de la loi Montagne), le sénateur Bouvard a déposé un amendement, retoqué en commission, permettant d'étendre le champ d'action de ces secours privés. Lire le AMENDEMENT sur les secours en montagne Cet amendement a été repris par le rapporteur de la loi, M. Pellevat. Il a été adopté en séance le 12 décembre dernier, devenant ainsi l'article 8 nonies de ce projet de loi Montagne II. S'il était adopté définitivement la semaine prochaine après le passage de la loi devant la commission mixte paritaire, cet article permettrait aux communes de confier les secours à des opérateurs privés y compris dans les « secteurs hors-pistes accessibles gravitairement par remontées mécaniques ». On peut penser aux espaces interstitiels compris entre deux pistes, ainsi qu'aux abords des pistes, comme l'écrit le sénateur Pellevat dans son exposé des motifs. C'est oublier que la lettre de ce texte pourrait permettre aux communes d'appliquer cette disposition dans tous les secteurs accessibles "gravitairement" depuis le sommets des remontées, y compris donc dans les larges espaces situés de l'autre côté de la station. On peut penser au vallon du Ferrand ou à celui de la Selle en Isère, qu'on rejoint "gravitairement" depuis le sommet de l'Alpe d'Huez ou des 2 Alpes, au vallon du Clou, à Sainte Foy en Tarentaise, ou encore, pourquoi pas, à la Vallée Blanche à Chamonix ! C'est en réalité le cas d'un grand nombre de secteurs totalement vierges d'équipements à travers tous les massifs, couramment parcourus par les skieurs de randonnées à la montée, et par les skieurs hors pistes à la descente, parfois même en cœur de parc national. On comprend vite le biais : les communes support des grandes stations de ski se dépêcheront de mettre le dispositif en œuvre, où et quand ces secours seront rentables, laissant à la charge du service public les opérations de secours difficiles, engagées, non « rentables »... Un secours à deux vitesses en somme, permettant à quelques compagnies de décrocher de juteux contrats (c'est pas grave, les assurances paieront !), sans que des économies ne soient permises dans les services publics, le PGHM, les CRS ou la Sécurité Civile. Ceux-ci continueront en effet d'être nécessaires pour intervenir en été, aux endroits non suffisamment rentables pour que des privés s'y investissent, la nuit sous jumelles de vison nocturne (un dispositif cher en matériel et en formation des pilotes d'hélicoptères), ou encore pour les accidents non liés au ski ou aux pratiques de loisirs (n'oublions que ces hélicoptères vont aussi chercher des femmes enceintes, ou des accidentés et des malades au fin fonds de nos vallées, dans les villages trop éloignés pour qu'un accès rapide à l'hôpital soit permis autrement que par voie aérienne !). Mountain Wilderness tient à rappeler son fort attachement à un service de secours en montagne de qualité et gratuit pour tous les habitants et tous les usagers de la montagne. Ce service, que la solidarité de la nation a porté à un niveau de qualité et d'efficacité exceptionnel, est reconnu comme tel dans le monde entier ! Cet attachement est partagé par tous les acteurs de la montagne comme l'a montré la motion récemment adoptée à l'unanimité par le Comité de Massif des Alpes (lire ici : Sauvons le secours en montagne !) En conséquence, MW demande instamment aux parlementaires qui siégeront à la commission mixte paritaire de refuser la validation de cet article 8 nonies.

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